Pouvez-vous brièvement raconter votre parcours ?
Après mon bac, j’ai débuté un cycle préparatoire à l’ESIEE Paris en 2009, complété par une spécialisation en télécommunications à partir de 2012. Au cours de mon cursus, j’ai effectué une année Erasmus en Allemagne, au Karlsruher Institute für Technologie. Mon stage de fin d’études s’est déroulé chez Airbus Defence and Space où j’ai travaillé sur l’amélioration d’un système de géolocalisation des terminaux des réseaux mobiles professionnels (PMR). Il s’agissait de trouver comment hybrider et fusionner plusieurs systèmes de localisation afin d’affiner le positionnement des terminaux. Après l’obtention de mon diplôme en 2014, j’ai occupé mon premier poste aux Voies navigables de France, l’établissement public qui gère 80 % du réseau des canaux et fleuves français. Ma mission était articulée autour du système radio AIS (Automatic Identification System), qui assure le suivi en temps réel des bateaux. En particulier, j’étais en charge de la maintenance et de l’amélioration de l’infrastructure radio déployée à cet effet. Puis c’est en 2016 que j’ai rejoint l’ANFR à la Direction des conventions auprès du pôle chargé de traiter les brouillages TNT causés par les réseaux mobiles dans les bandes 700 MHz et 800 MHz. Après 2 ans, j’ai finalement intégré la Direction de la planification et des affaires internationales en tant qu’ingénieur radio au Département négociation des accords aux frontières.
Quel est le rôle du département négociation des accords aux frontières ?
C’est bien connu, les fréquences n’ont pas de frontières. Il faut donc veiller à ce que les émetteurs des uns et des autres ne créent pas de brouillages d’un pays à l’autre. Constitué de 4 personnes, ce département s’occupe de négocier les accords de coordination avec nos pays frontaliers dans 3 domaines : les réseaux mobiles (3G, 4G, 5G et PMR), la télévision numérique terrestre ( TNT ) et mon domaine, qui est celui de la radiodiffusion sonore c’est-à-dire la radio FM et DAB+. Mes collègues et moi-même représentons donc l’administration française dans les négociations avec les pays voisins de la métropole et des outre-mer, en vue d’aboutir à des accords de coordination ou de planification des stations radioélectriques.
Au sein de ce département, quel est votre rôle en tant qu’ingénieur expert en négociation?
Etant référent sur la radio FM et numérique (DAB+), je dois conclure des accords avec les pays frontaliers concernant les fréquences utilisées pour ces services. Au niveau international, les plans de radiodiffusion dits de Genève 1984 (FM) et de Genève 2006 (DAB+ et TNT ), chapeautés par l’ UIT , définissent quelles fréquences on peut utiliser et où. Ces plans ne sont pas figés, ils peuvent évoluer et être modifiés en fonction de nos besoins. Quand on y ajoute un nouvel usage, on parle d’extension du plan. Mon rôle est donc de modifier ce plan et d’obtenir l’accord de toutes les administrations frontalières afin que personne ne subisse de brouillage. Pour ce faire, il faut faire des études de compatibilité, définir des contraintes si besoin et s’il y a des freins, trouver des solutions. Je travaille pour cela étroitement avec le CSA qui définit le plan de fréquences au niveau national. Je dois préparer les positions françaises et les défendre auprès de nos homologues étrangers. Les négociations se déroulent habituellement lors de réunions qui se tiennent sur plusieurs jours. Mais signer un accord peut prendre plusieurs années !
Je suis également en charge de l’aspect coordination pour le volet radio numérique. Les administrations étrangères qui veulent mettre en service un émetteur DAB+ près de nos frontières doivent avoir notre accord. Je dois donc réaliser une étude technique afin de vérifier que l’émetteur ne compromet pas nos usages et vérifier sa conformité aux dispositions convenues bilatéralement. Dans le cas contraire, nous pouvons émettre des restrictions consistant à réduire la puissance, changer le diagramme d’antenne… ou refuser la demande.
Après la radio FM, on parle dorénavant de radio numérique terrestre et de DAB+, qu’est-ce que c’est ?
Le DAB+ signifie Digital Audio Broadcasting, aussi appelé radio numérique terrestre : ces deux noms désignent le successeur de la radio FM. Le DAB+ permet d’écouter la radio gratuitement, par voie hertzienne et sans nécessiter de connexion internet. Il offre de nombreux avantages et notamment une meilleure efficacité spectrale : plusieurs radios peuvent émettre sur une seule fréquence, un atout de poids car le spectre FM est déjà largement saturé. Un multiplex, qui est un regroupement de stations au sein d’un même canal, peut accueillir en France jusqu’à 13 programmes et être diffusé sur la même fréquence depuis plusieurs émetteurs selon le principe des réseaux synchronisés (SFN). A contrario, en FM, une fréquence est associée à un seul émetteur (à l’exception de configurations très spécifiques), elle-même associée à une seule radio.
De fait, une offre de programmes beaucoup plus large peut être proposée aux auditeurs grâce au DAB+. Celui-ci permet également une meilleure qualité d’écoute : le son est numérique, il n’y a pas ce phénomène de grésillement, fréquent lors de l’écoute de la radio FM en mobilité. Des contenus additionnels peuvent être proposés comme l’affichage de la pochette d’album du titre actuellement diffusé. Aujourd’hui, 10 aires régionales, soit environ 30% de la population métropolitaine, sont couvertes par le DAB+ où sont principalement diffusées des radios locales ou associatives. Dès octobre 2021, l’axe Paris Lyon Marseille pourra écouter les principales radios nationales en DAB+, pour ensuite être progressivement étendu au reste de la France dans les prochaines années. Pour écouter la radio en DAB+, il suffit d’avoir un poste compatible.
Quelles qualités faut-il pour exercer ce métier ?
Il faut sans nul doute être diplomate, savoir s’adapter à ses interlocuteurs. Lors des négociations, il faut établir un accord entre deux parties ayant des besoins différents. Il faut donc pouvoir être assez ferme tout en étant souple. La communication est un aspect important de ce métier, il faut préparer des argumentaires, entretenir de bonnes relations avec les administrations des pays frontaliers, savoir s’exprimer en public pour défendre ses positions… De plus, la plupart de ces discussions se font en anglais, il est donc important d’être à l’aise en langue. Au vu du temps que peuvent prendre les négociations, il est important d’être endurant, c’est-à-dire patient pour aller au terme de nos objectifs.
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre travail ?
Le fait de pouvoir travailler dans un environnement international. Avoir des interactions avec des interlocuteurs d’autres pays, être en contact avec des profils diverses… Coupler cet aspect avec la partie technique est idéal pour moi ! Réaliser des études et devoir les soutenir face à nos homologues étrangers, c’est stimulant. Lors des rencontres, qui peuvent durer jusqu’à 3 jours, il y a une réelle dynamique, je me plonge entièrement dans ces sujets, autant la journée que le soir.