Pourriez-vous nous décrire rapidement votre parcours au sein de l’ANFR et votre rôle ?
Je suis arrivé en juillet 1997 à l’Agence, presqu’à sa création. Je travaillais auparavant pour le centre de recherche de France Télécom, le CNET, où je m’occupais déjà de compatibilité électromagnétique et d’ingénierie des fréquences, sur des sujets au cœur des métiers de la nouvellement créée ANFR.
J’ai commencé ma carrière à l’ANFR en tant que chef de département ingénierie du spectre, qui devait notamment réaliser les études de compatibilité à l’international comme au niveau national. Au départ, il n’y avait que 2 agents, mais ce département s’est largement développé par la suite, compte tenu de l’importance de ces études techniques dans la gestion des fréquences. En 2004, je suis devenu directeur adjoint de la Direction de la planification du spectre et des affaires internationales (DPSAI) et j’occupe le poste de directeur de cette même direction depuis 2007.
Concrètement, quel est le rôle de la DPSAI ?
La DPSAI propose les évolutions du tableau national de répartition des bandes de fréquences (TNRBF), le premier texte générateur de droits nationaux en matière de fréquences, préparé en concertation avec les affectataires et qui, après délibération du Conseil d’administration, est soumis au Premier ministre pour publication par arrêté. La plupart des évolutions du spectre sont en fait impulsées par l’harmonisation européenne et par les changements apportés tous les 4 ans au Règlement des radiocommunications lors des conférences mondiales des radiocommunications ( CMR ). La DPSAI assure cette articulation fine entre les besoins exprimés en France et ce cadre international. Derrière chaque évolution du spectre des fréquences en France, il y a en amont un intense travail de concertation et de longues négociations internationales et européennes, que ce soit pour identifier de nouvelles fréquences ou pour définir les conditions d’utilisation pour les réseaux mobiles, les appareils de faible portée, le WiFi, les systèmes transport intelligents, les satellites....
En aval, les évolutions des usages liés aux fréquences peuvent conduire à recourir au fonds de réaménagement du spectre, géré par l’ANFR, afin d’accélérer la libération d’une bande au bénéfice d’un nouvel entrant.
Par ailleurs, pour de nombreux usages des fréquences, il est primordial de s’entendre avec nos homologues des pays limitrophes afin de pouvoir utiliser les fréquences sans brouillages aux frontières. La DPSAI négocie ainsi les accords aux frontières qui vont permettre d’effectuer cette coordination.
Dans le domaine du spatial, dont les enjeux industriels nationaux sont très importants, les travaux de la DPSAI recouvrent à la fois le travail d’enregistrement et de gestion des droits français auprès de l’ UIT , incluant la coordination entre les réseaux satellitaires français et ceux des autres pays, et le travail d’instruction des demandes d’autorisations dont les opérateurs satellitaires ont besoin pour exploiter ces droits.
En tant que directeur, mon rôle est d’animer l’équipe constituée d’une trentaine de personnes au sein de 4 départements, en tenant compte des différentes dynamiques de négociation et de l’objectif de satisfaire les besoins d’accès au spectre de tous. Le directeur a un rôle de chef d’orchestre qui a pour mission d’assurer l’harmonie des positions françaises dans les différentes enceintes internationales, d’aider dans les négociations menées par chacun des agents et d’assurer la bonne prise en compte des intérêts nationaux. Ce rôle requiert également un investissement à l’international pour tisser avec mes homologues les relations indispensables aux succès des négociations.
Vous avez récemment accédé à la présidence du RSPG, en quoi cela consiste-t-il ?
Le RSPG est un groupe consultatif de haut niveau, regroupant les gestionnaires du spectre de chaque État membre de l’Union européenne, qui conseille la Commission européenne sur la politique des fréquences. Il peut aussi conseiller le Conseil et le Parlement européen sur les questions de spectre. Les représentants des 27 États membres et de la Commission ainsi que des observateurs (États de l’espace économique européen, États ayant débuté le processus d’adhésion, CEPT et ETSI) participent aux travaux. Le RSPG recommande aussi la position de l’UE pour les conférences mondiales, qui fait ensuite l’objet d’une décision du Conseil européen. Il aide les États membres à résoudre des différents aux frontières par ses bons offices et facilite le partage d’expériences sur les autorisations au travers d’ateliers.
Le président du RSPG, élu pour un mandat de 2 ans, a généralement occupé le rôle de vice-président assurant ainsi la continuité dans la direction du groupe. Ainsi, le vice-président est chargé d’élaborer le programme du RSPG pour les 2 ans du mandat de sa présidence. Ce programme est le fruit d’interactions entre les États membres et la Commission européenne. Il est actuellement en consultation publique, permettant aux diverses parties prenantes d’exprimer leur avis sur les thèmes identifiés pour les deux prochaines années.
Le Président ne défend pas une position nationale, il s’assure de la progression des travaux en fonction des calendriers établis, recherche le consensus si nécessaire et est le premier point de contact avec la Commission ou le Conseil et le Parlement. Etre au cœur des échanges et des processus permet de comprendre les enjeux, le rôle et les positions de toutes les parties prenantes et, donc, le champ de la négociation.
Pouvez-vous nous décrire les objectifs sur les deux prochaines années du RSPG ?
La 6G sera un des nouveaux sujets abordés afin d’analyser les besoins en spectre et de donner des impulsions stratégiques en temps voulu. En effet, pour la 5G, les recommandations étaient arrivées tardivement, le RSPG ayant adopté son premier avis « 5G » en 2016 alors même que les premiers déploiements avaient commencé en Corée en 2018. Il est indispensable de mieux anticiper cette fois-ci l’arrivée de la 6G prévue pour 2030.
La bande UHF (470-694 MHz) de la télévision sera un sujet difficile. Il est important de bien décolérer le travail mené dans le cadre de la préparation de la conférence mondiale de 2023, du processus de décision en la matière qui doit rester européen, puisque cette bande est harmonisée en Europe avec une obligation pour les États membres de satisfaire en priorité les besoins de la télévision jusqu’au moins 2030. Le fait que certains pays, notamment au Moyen-Orient, n’utilisent déjà plus cette bande de fréquences pour la télévision sera certainement pris en compte à la CMR -23, mais cela ne doit en revanche pas peser dans le débat européen. Sur cette question, l’Europe, constituée de petits pays avec des contraintes de coordination aux frontières, doit avancer de manière coordonnée à l’instar de ce qui a été réalisée sur la bande 700 MHz. Le RSPG devra examiner les développements dans cette bande et construire différents scénarios possibles pour l’après 2030.
Ces deux ans seront aussi l’occasion de préparer la CMR -23. L’objectif est de finaliser l’avis RSPG qui recommandera des positions de l’Union européenne sur chacun des points de l’ordre du jour de la conférence mondiale, où les politiques de l’Union peuvent être impactées. Ces propositions doivent rester de haut niveau et éviter toute ambiguïté. En effet, la CEPT définit des propositions européennes communes beaucoup plus détaillées avec des modifications précises du Règlement des radiocommunications et qui devront être cohérentes avec les positions de l’UE.
2022 sera aussi l’occasion de la publication du premier rapport annuel de la revue par les pairs. La revue par les pairs, permettant l’échange de bonnes pratiques dans les procédures d’autorisation, a été institutionnalisée par l’article 35 du nouveau code européen entré en vigueur fin 2020. Cet article prévoit aussi, chaque année, un rapport du RSPG portant sur les bonnes pratiques. Le premier de ces rapports sera publié en février prochain et est un jalon essentiel de la revue par les pairs.
Les grands enjeux du changement climatique trouvent aussi leur place dans les travaux du RSPG. Après la publication d’un avis en novembre 2021, le RSPG a identifié des difficultés auxquelles sont confrontés les États membres, notamment la méthode pour estimer l’efficacité énergétique des systèmes radios.
Ma présidence à la tête du RSPG sera aussi l’occasion d’entreprendre une réflexion sur l’évolution des technologies, telle que l’extinction de la 2G/3G, compte tenu du contexte de la neutralité technologique et de ses exceptions (directive GSM, e-Call). La question se pose avec acuité compte tenu de la généralisation de la couverture 4G et de l’arrivée de la 5G.
Un des derniers thèmes du RSPG pour ce cycle de coordination sera de continuer les travaux déjà en cours sur les bons offices, notamment avec notre voisin italien ou pour surveiller le bon déroulement des négociations aux frontières, notamment pour la bande 3,5 GHz où se pose le défi de synchronisation des réseaux aux frontières.
Un petit mot pour la fin ?
Prendre les rênes du RSPG est une nouvelle expérience plus politique que les présidences que j’ai occupées précédemment, comme le CPG (préparation CMR -12) et l’ECC (harmonisation européenne). Le RSPG porte la voix des États membres sur les stratégies dans le domaine du spectre au niveau européen et concentre des compétences et des personnalités variées. Etre la voix des gestionnaires des fréquences des pays de l’Union est un nouveau challenge qui s’annonce passionnant !