Pouvez-vous brièvement raconter vos parcours ?
C. DUPART : après mes études, j’ai fait l’école des sous-officiers d’active des transmissions d’Agen (47). J’ai ensuite été muté en 1979 à Orléans (45) en tant que sous-officier radio-crypto-télégraphiste. La radio HF cryptée était utilisée pour transmettre les communications sensibles de la chaine du grand commandement. Facilement projetable sur les théâtres d’opérations, j’ai enchainé les missions extérieures : Tchad, Liban, Nouvelle-Calédonie, Centrafrique, Yougoslavie, etc. En 1988, je suis retourné à l’école d’Agen mais en temps qu’instructeur-formateur pendant 5 ans. Puis je suis entré dans la Force d’Action Rapide où j’ai de nouveau multiplié les départs outre-mer : Liban, Cameroun… Par la suite, muté aux réseaux extérieurs du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale à Paris pour une formation de renseignement pendant 3 ans, j’ai servi ensuite pendant quatre années comme radio-chiffreur au profit de l’Attaché de Défense à l’ambassade de France à Tel Aviv. C’est finalement en 2005, que j’ai posé mes bagages en Ile-de-France afin de rejoindre l’ANFR où j’ai pris en charge la cellule Grands Événements.
M. ERAUD : militaire de carrière, je me suis engagé en 2003 à l’âge de 16 ans dans un lycée militaire : l’École d’enseignement technique de l’armée de l’air en Charente-Maritime où j’ai obtenu mon bac en 2005. Par la suite, j’ai suivi une formation pour devenir technicien des systèmes et support de télécommunication. Lors de ma première affectation sur la base aérienne d’Orléans (45), j’ai servi en tant que technicien radio et téléphonie projetable de l’armée de l’air. Mon métier consistait à installer et mettre en œuvre tous les systèmes de surveillance d’information et de communication nécessaires à l’établissement des transmissions d’une base aérienne : les moyens de téléphonie, radio, radar et informatique. Dans ce cadre, j’ai servi en Afghanistan, à Djibouti, au Tchad, au Niger, en Sicile, en Norvège… et partout en France. En 2013, j’ai rejoint la base aérienne d’Évreux (27) où j’occupais le poste de gestionnaire de fréquences de circonstance du Ministère des Armées. Dans le cadre des opérations extérieures au Moyen-Orient ou en Afrique Subsaharienne, j’étais responsable de l’attribution et de l’utilisation du spectre radioélectrique des forces françaises déployées en coordination avec les nations hôtes. Sur le territoire national, j’assignais les fréquences temporaires dans les bandes de la Défense au profit de toutes les armées et de l’ANFR : sommets politiques, cérémonies militaires, évènements sportifs,… La cérémonie militaire du défilé du 14 juillet 2012 était ma première rencontre avec l’ANFR et plus précisément avec Christian. Sept ans plus tard, je suis devenu son binôme sur les Grands Évènements à l’Agence.
Quel est le rôle de la cellule Grands Événements ?
C. DUPART : un des rôles principaux de l’ANFR est de contrôler la bonne utilisation des fréquences. Pour assurer cette mission, nous pouvons être sollicités pour intervenir sur des Grands Événements de portée nationale voire mondiale : Tour de France, 24 Heures du Mans, Grand Prix de Formule 1, Roland Garros, Coupe du monde, les Sommets politiques (G8, G20)... Nous devons donc assurer le bon déroulement de l’événement en permettant la cohabitation sur un lieu bien précis d’une multitude de fréquences utilisées par de nombreux utilisateurs du spectre radioélectrique.
M. ERAUD : pour cela, il faut planifier, coordonner et attribuer les fréquences, ce qui permet de sécuriser les fréquences car leur utilisation est strictement encadrée par la loi. Il s’agit également de s'assurer de l'absence d'interférences pendant l’événement. Le contrôle des fréquences et des matériels utilisés est donc primordial. Tout cela s’effectue dans le cadre d’une action globale des différentes directions de l’ANFR.
Afin de remplir cet objectif, quelles sont vos missions ?
M. ERAUD : avant de se rendre sur l’événement qui est la partie visible de l’iceberg, un gros travail est effectué en amont. Il faut d’abord rencontrer les organisateurs, comprendre leur besoin et les enjeux de l’événement puis fixer un budget alloué à la gestion de l’évènement, le tout finalisé par la rédaction d’une convention qui liera les deux parties. Après la signature de la convention, nous pouvons entrer dans le vif du sujet.
C. DUPART : à ce moment-là, il faut être curieux, tout analyser et assimiler le plus d’éléments possibles afin de s’approprier au mieux le projet pour proposer un plan d’action pertinent. En fonction de la taille de l’événement, sa préparation peut prendre jusqu’à 7 mois pour les plus importants ! Il en découle au final une note de cadrage fixant la définition et les formalités du projet puis les méthodes qui seront utilisées sur le terrain.
M. ERAUD : un peu avant l’événement nous effectuons une reconnaissance de site pour savoir où et comment installer notre matériel de pointe. Une fois arrivé sur l’événement, nous vérifions la conformité du plan de fréquences en réalisant des contrôles auprès des demandeurs (médias, sécurité, etc.) et mesurons les fréquences programmées dans leurs équipements. Nous traitons également les cas de brouillages qui peuvent provenir d’une mauvaise utilisation des fréquences voire d’une utilisation illégale. Nous sommes en quelque sorte les gardiens du spectre et nous pouvons appliquer ,si nécessaire, une taxe en cas d’utilisation illicite de fréquences. En effet, la diffusion d’un événement en direct concentre énormément d’enjeux financiers, et un événement récurrent comme le Tour de France est diffusé dans plus de 190 pays. Enfin, après l’événement il y a une troisième et dernière phase : l’établissement d’un compte-rendu et sa restitution.
C. DUPART : en fait, l’organisateur bénéficie de notre expertise technique à travers la gestion de nos ressources et de nos moyens. Nous nous appuyons sur les compétences des agents des services régionaux, répartis sur l’ensemble du territoire. Nous travaillons de concert avec tous les acteurs de l’événement : les organisateurs, la sécurité, les diffuseurs et les médias grands consommateurs de fréquences. Nous sommes un peu des chefs d’orchestre et notre rôle est d’éviter les fausses notes.
Quelles sont les contraintes de ce métier ?
C. DUPART : les contraintes sont celles liées à l’événementiel. Nous avons des périodes de fortes sollicitations, il faut donc énormément d’anticipation. Par exemple, en 2021, 8 événements sont prévus en 4 mois, parmi lesquels : Roland-Garros, les 24 heures du Mans, le salon de l’aéronautique du Bourget, deux Grands Prix de Formule 1, le Tour de France etc. Il ne faut donc rien laisser au hasard, essayer de tout prévoir, même l’imprévu ! Mais surtout faire preuve d’une grande souplesse pour s’adapter à l’événement qui n’est pas à l’abri de contraintes et de contingences comme nous l’avons vécu en 2020 avec la crise sanitaire.
M. ERAUD : tout à fait, travailler dans l’événementiel, c’est vivre l’événement à 100%, le suivre de ses prémices à sa clôture, œuvrer notamment les week-ends et sur de longues plages horaires et se déplacer dans toute la France. À côté de ça, on apprécie de pouvoir travailler avec les services régionaux, on connait tous les techniciens et c’est très gratifiant.
Qu’est-ce qui vous plait dans votre métier et quelles qualités faut-il ?
C. DUPART : il faut avoir une appétence pour les nouvelles technologies. Quand elles évoluent, nos métiers aussi. Les Grands Événements sont des laboratoires technologiques, les organisateurs se permettent de tester de nouveaux procédés. J’ai pu voir les premières diffusions de la télévision en HD, en 3D puis en 4K et maintenant en 8K via la 5G. Les premiers essais de la 4G lors du tournoi de Roland Garros ne furent pas de tout repos et l’ANFR a su, grâce à son statut et à ses compétences reconnues de tous, pacifier des rapports tendus entre l’organisateur et les opérateurs de téléphonie mobile. Nous sommes en première ligne des évolutions !
M. ERAUD : nous sommes autonomes, j’apprécie pouvoir prendre un événement à bras le corps, le suivre de A à Z. La partie terrain me plait aussi beaucoup, notre quotidien est très varié, les jours ne se ressemblent pas. Il faut donc pouvoir s’adapter aux situations et à ses interlocuteurs afin de pouvoir créer une relation de confiance.
C. DUPART : le sens du contact et du relationnel sont primordiaux. Nous sommes amenés à échanger avec des personnes de tous horizons : des demandeurs qu’ils soient de la sphère du privé ou des grands ministères, aux journalistes, en passant par les techniciens. Nous travaillons en toute confiance avec un panel de différents acteurs et la notion de partenariat prend ici tout son sens.