La CMR, à quoi ça sert ? L’ANFR décode la CMR-23 - Point 1.5 : une attribution mobile dans la bande audiovisuelle 470-694 MHz ?
Le point 1.5 de la CMR-23 et la Résolution 235 associée sont issus des débats passionnés de la CMR-15, où plusieurs pays du Moyen-Orient avaient demandé que l’ensemble de la bande 470-694 MHz, aujourd’hui entièrement dédiée à l’audiovisuel en Région 1 (Europe, Afrique, Moyen-Orient), soit attribuée au service mobile avec un statut co-primaire avec la radiodiffusion. Ils s’appuyaient sur les décisions que devait prendre cette conférence sur les conditions d’utilisation de la bande du second dividende numérique, 694-790 MHz (« bande 700 »). L’argument était simple : si des conditions de partage étaient consensuelles au-dessus de 694 MHz, il n’y avait pas lieu de penser qu’elles puissent être différentes au-dessous, ce qui permettait d’en régler le sort sans étude complémentaire. Mais, outre le fait que le spectre sous 694 MHz n’était pas à l’ordre du jour de la CMR-15, de nombreux pays, dont la France, estimaient que l’attribution mobile dans la bande 700 MHz conduirait à concentrer la radiodiffusion dans une bande plus étroite et qu’il était hors de question de la réduire encore plus. Cette position avait prévalu lors de la CMR-15, au prix d’un renvoi du sujet à la CMR-23, confirmé lors de la CMR-19 qui n’avait pas souhaité rouvrir le sujet.
La France et l’Europe ont apporté, après les deux dividendes numériques (bandes 700 MHz et 800 MHz), des garanties de stabilité d’accès au spectre pour la télévision hertzienne terrestre dans la bande 470-694 MHz. Ces orientations ont en particulier permis à la filière audiovisuelle d’investir pour faire évoluer la plateforme. Ce fut notamment le cas en France avec le passage au MPEG-4, la généralisation de la haute définition et le maintien de la diversité des programmes. L’article 21 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication avait en effet confirmé l’attribution de cette bande à l’ARCOM au moins jusqu'au 31 décembre 2030. En Europe, une garantie similaire est apportée par l’article 4 de la Décision 2017/899 (UE) qui oblige les États membres à rendre la bande disponible pour la radiodiffusion au moins jusqu’à 2030. Une certaine souplesse pour d’autres usages reste offerte aux États membres, mais à condition que les besoins de la radiodiffusion soient satisfaits en priorité et que les autres pays n’en soient pas affectés. En France comme en Europe, un rapport d’étape est prévu pour 2025 et doit être présenté par le gouvernement (respectivement par la Commission), au Parlement (respectivement au Parlement européen et au Conseil).
En France, malgré une baisse modérée de son usage, la TNT reste reçue dans 46,3 % des foyers équipés d’un téléviseur (50,2% en prenant en compte le service antenne, c’est-à-dire la réception des chaînes gratuites par le câble) et 21,2 % des foyers font de la TNT leur mode unique de réception. Mais d’autres pays, notamment au Moyen-Orient, ont éteint leurs émetteurs de télévision hertzienne et souhaitent pouvoir utiliser la bande pour d’autres usages, avec en ligne de mire l’utilisation de la bande 600 MHz par les opérateurs, comme c’est déjà le cas aux États-Unis. Même en Europe, certains pays n’utilisent pas de manière aussi intensive qu’en France cette bande pour la communication audiovisuelle. En Suisse, par exemple, les multiplex nationaux ont été éteints, même s’il subsiste de la diffusion régionale. La Finlande, où la télévision hertzienne terrestre conserve un taux important de pénétration des foyers, souhaite quant à elle anticiper une migration de la télévision vers d’autres plateformes. Toutefois, dans l’ensemble de la Région 1, seulement 7 pays sur 102 ont exprimé un besoin en spectre pour la radiodiffusion inférieur à 224 MHz.
Pour autant, la diversité des situations nationales, en Europe comme plus largement en Région 1, alimente les discussions depuis plusieurs années. Si chaque pays a des besoins différents, pourquoi donc ne pas laisser un libre choix à travers une attribution co-primaire mobile et radiodiffusion ? Pourtant, l’expérience des deux dividendes numériques démontre que cette liberté de choix serait illusoire : cela ne fonctionnerait pas à cause des brouillages aux frontières. En particulier, nombre de stations de base du service mobile seraient rendues inutilisables par les émetteurs de forte puissance de la radiodiffusion. En France, où les autorisations dans les bandes 700 et 800 MHz ont été délivrées par l’Arcep plusieurs années avant la migration de la radiodiffusion chez nos voisins, par exemple en Italie ou en Espagne, des brouillages significatifs ont ainsi été constatés sur plusieurs centaines de kilomètres le long des côtes Atlantique et de Méditerranée ! L’expérience du premier dividende numérique avait d’ailleurs amené l’Union européenne à prescrire pour la bande 700 MHz un calendrier harmonisé de libération de la bande, ainsi qu’une date butoir pour la signature des accords aux frontières entre États membres. Si la migration dans cette bande est maintenant quasiment achevée au sein de l’Union, il reste des difficultés à ses frontières, par exemple avec la Fédération de Russie.
Il apparaît donc essentiel que toute évolution de la règlementation applicable dans la bande se fasse de manière coordonnée en Europe, compte tenu de l’imbrication des frontières, ce qui est possible dans cette bande harmonisée par une décision de l’Union. Les réflexions sur les scénarios d’évolution démarrent à peine en Europe avec une première étude lancée par la Commission européenne. Le RSPG va analyser cette question et rendre un avis d’ici juin 2023, à la lumière de son précédent avis de 2015 et des développements en cours dans les différents pays. Le point 1.5 de la CMR-23 arrivera donc trop tôt par rapport aux calendriers nationaux et européens qui n’envisagent un rapport sur les « perspectives de diffusion et de distribution des services de télévision » qu’en 2025.
La position française dans le cadre de la préparation de la CMR-23 devra donc rappeler que la bande doit satisfaire prioritairement les besoins de la télévision, et que la disponibilité d’une partie de la bande pour le service mobile découlera d’abord de l’évolution des besoins de la TNT après 2030. Au demeurant, les besoins futurs pour des services en mobilité ne sont pas limités à ceux des opérateurs mobiles : la France a aussi exprimé un intérêt dans le contexte des travaux préparatoires pour des besoins de réseaux de sécurité du ministère de l’intérieur et pour des réseaux ad-hoc du ministère des Armées. Elle contribue aux études techniques de ces applications.
De nombreuses options seront ainsi sur la table de la CMR-23. Entre renvoyer le sujet à une prochaine CMR ou accepter une attribution mobile co-primaire dans la bande, il apparaît en effet une variété de solutions intermédiaires telles qu’une attribution mobile secondaire, une attribution limitée à des pays en-dehors de l’Europe, voire une attribution au service mobile limitée aux communications dans le sens descendant (du relais vers le terminal), ce qui améliorerait la compatibilité avec la radiodiffusion au prix d’une limitation de l’usage futur de la bande. Mais, quoi qu’il en soit, la décision de la CMR-23 ne devrait pas affecter le calendrier de réflexion européen sur les perspectives d’évolution de la bande, inscrit dans la décision du Conseil et du Parlement européen de l’Union européenne.