Les enquêtes de l'ANFR : nuages d’orage sur l’écran radar...
Montclar : 161 habitants et un radar météo ultra-moderne inauguré en 2005, qui couvre le Tarn et l’Aveyron, sentinelle des risques d’inondation. Il scrute l’horizon en permanence, capable de détecter des nuages chargés de pluie à plus de 100 km à la ronde. Pourtant, depuis plusieurs semaines cet hiver, les ingénieurs de Météo France s’interrogent : comme l’illustre le graphique ci-dessous, une file de nuages fixes s’affiche sans discontinuer en direction de l’ouest. Quelques coups de fil avaient permis bien vite de s’en assurer : pas de pluie à l’horizon, tout cela n’a décidément rien de météorologique…
Au site toulousain de Météo France, le diagnostic a été vite posé : il s’agit d’un faux écho, provoqué par un émetteur distant. En effet, le radar envoie régulièrement des trains d’ondes à 5 GHz, puis tend l’oreille pour détecter des nuages dont le chargement menaçant (pluie, grêle, voire neige) renvoie un écho. Si, dans la même direction, un émetteur, même peu puissant, utilise cette même fréquence, les capteurs très sensibles du radar perçoivent un signal qu’ils peuvent interpréter comme l’écho. Un nuage insolite prend alors forme sur l’écran.
Toulouse abrite également un service régional de l’ANFR et les deux administrations sont souvent en relation : entre satellites et radars, cela fait en effet des décennies que la météo ne se pratique plus à l’œil nu, mais passe par les fréquences. L’alerte est donc donnée, et le SR entre en action.
La première étape, incontournable, est de se rendre à Montclar. Malgré le confinement, les 140 km qui séparent le SR du site sont rapidement franchis. Là, les agents de l’ANFR connectent leurs appareils sur le radar, préalablement éteint, pour enregistrer les caractéristiques du signal capté par l’antenne ultra-sensible du récepteur d’échos. A première vue, il s’agit d’un réseau local. Mais, à cette distance, impossible d’en savoir plus : on ne peut capter aucun des identifiants du réseau…
Les agents de l’ANFR, avant de regagner leur véhicule, jettent un regard désabusé vers le soleil couchant : certes, la vue est superbe, de ce promontoire. Mais trouver un réseau WiFi inconnu, dans un cône de 10° d’angle (entre 260 et 270°), qui pourrait, s’il est puissant, se trouver jusqu’à 100 km de là ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin !… Et le relief et les virages des routes de l’Aveyron, du Tarn voire du Tarn-et-Garonne ne vont pas simplifier la tenue du cap ! Bien sûr, en hélicoptère, plein gaz dans l’azimut 265°...
Mais revenons sur terre ! Il faut donc lancer le camion sur les routes, en détectant tous les réseaux émettant dans la bande des 5 GHz – l’une des deux bandes du WiFi : une gageure. Voici donc notre camion ANFR transformé pour l’occasion en « Google Car » : sur les 50 km qui séparent Montclar d’Albi, les appareils ont engrangé pas moins de 1 901 réseaux WiFi 5 GHz en activité ! Il est vrai que, confinement oblige, tous les échanges passent par les réseaux électroniques, et le sans-fil est plus incontournable que jamais. Au retour, en dépouillant les caractéristiques de chaque réseau et en les confrontant avec les données extraites du radar, les possibilités finissent par retrouver taille humaine : seuls 16 de ces réseaux émettent des fréquences réellement compatibles avec le brouillage constaté. Il « suffira » donc de revenir sur place pour caractériser chacun des émetteurs suspects.
Toujours en plein confinement, lestés de toutes les attestations nécessaires, les contrôleurs poursuivent alors leur traque dans le Tarn, autour d’Albi. D’abord l’ouest : le premier jour est consacré à l’exploration des 20 km qui séparent Senouillac d’Albi. Le lendemain permet de passer au crible 10 km entre Saint-Grégoire et Lescure d’Albigeois, puis la vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau entre Sérénac et Cadix. De 16, l’on passe à 3 émetteurs plausibles : trois réseaux exploitant 20 MHz autour de 5620 MHz qui pourraient perturber le radar, qui fonctionne à 5625 MHz et. Il ne reste donc plus qu’à trouver le propriétaire de chaque émetteur pour qu’il l’arrête, puis à vérifier l’effet produit quelques 50 km plus à l’est, à Montclar…
L’équipe commence par l’est d’Albi, plus proche du radar. Mais à Saint-Grégoire-Eglise, malgré l’arrêt temporaire du réseau, le brouillage persiste… Ensuite, c’est le réseau RLAN de Saint-Cirgue qui est interrompu. Sans résultat ! Il ne reste alors qu’une seule possibilité : le dernier émetteur se trouve en effet sur la commune de Gaillac, à l’ouest d’Albi. C’est ainsi que nos agents parviennent finalement à réduire au silence un émetteur WiFi situé sur un château d’eau, dans un hameau de Gaillac. La confirmation tombe enfin : les brouillages ont bel et bien cessé.
La société responsable du dispositif a constaté que son équipement était défectueux : la gestion de puissance était devenue inopérante et le dispositif émettait non seulement en continu, mais à pleine puissance ! L’équipement a été remplacé quelques jours plus tard et le réseau n’a plus fait parler de lui. En effet, les RLAN à 5 GHz comportent obligatoire un DFS (système dynamique de sélection de fréquence) : ils reconnaissent les impulsions des radars météo et s’installent alors automatiquement sur des fréquences différentes.
L’émetteur se situait à 61 km à vol d’oiseau du radar météo.
Bon à savoir
Une partie de la bande de fréquences 5 GHz héberge des applications autorisées telles que des radars météorologiques de Météo-France. Ces derniers localisent dans un rayon de plus de 100 km les zones de précipitations (pluie, neige, grêle) et mesurent leur intensité afin de générer une cartographie des précipitations pour des prévisions météorologiques. Quand on installe un réseau local sans fil (RLAN) dans la bande de fréquence 5 GHz, comme par exemple un réseau WiFi, il est essentiel de suivre les règles en vigueur, notamment pour protéger ces radars météorologiques. Le détenteur d’un matériel RLAN ou WIFI est garant de l’utilisation conforme des fréquences et est responsable pénalement si son équipement est à l’origine d’un brouillage ! Le responsable d’un brouillage par manquement réglementaire encourt des sanctions pénales qui peuvent aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et 30.000 € d’amende en application de l’article L39-1 du CPCE. Il encourt par ailleurs une taxe de 450 euros pour frais d’intervention de l’ANFR.