L’avenir de la « bande 6 GHz haute », un dossier brûlant pour les gestionnaires de fréquences
Deux protagonistes pour une bande
La bande 6 GHz haute (6 425-7 125 MHz) fait l’objet depuis quatre ans d’une lutte acharnée entre la communauté des réseaux mobiles et celles de WiFi. Les deux communautés souhaitent réserver cette bande à leurs propres besoins et des argumentaires ont été soigneusement préparés pour défendre leurs points de vue, notamment lors de la préparation de la Conférence mondiale des radiocommunications de 2023 (CMR-23). Dans les derniers jours de la CMR, cette bande a finalement été identifiée pour les mobiles (IMT), tout en reconnaissant l’usage du WiFi dans certains pays, laissant ainsi ouverte la question de l’harmonisation de cette bande en Europe. La CMR n’a donc pas tranché entre les deux technologies. Cette décision a néanmoins déterminé les conditions de partage avec les autres usages internationaux du spectre, en définissant notamment les caractéristiques permettant d’assurer la protection des satellites qui reçoivent dans cette bande.
Depuis la fin de la CMR, le combat est devenu européen, puisqu’il s’agit d’harmoniser cette bande de fréquences : pour l’un ou l’autre des usages, ou en partage ? Chaque camp continue donc d’argumenter pour susciter l’adhésion.
Côté WiFi
Cette bande complèterait naturellement la bande mitoyenne 5 925-6 425 MHz, harmonisée en Europe depuis 2021 pour les RLAN, typiquement des points d’accès WiFi de 250 mW en intérieur (box internet), ou pour des dispositifs portables de très faible puissance (25 mW) connectant des équipements personnels (casques, montres, lunettes…).
La bande 6 GHz haute est en outre déjà autorisée pour les RLAN dans plusieurs pays du continent américain, notamment les États-Unis, mais aussi en Corée du Sud et en Arabie Saoudite. De nombreuses puces déjà installées dans des équipements sont donc compatibles avec cette bande.
Par ailleurs, la technologie WiFi 7 pourrait tirer parti de la très large bande ainsi constituée (5 925-7 125 MHz) puisqu’elle prévoit des canaux pouvant atteindre 320 MHz de largeur.
Enfin, la communauté WiFi plaide pour un accroissement de ses ressources en fréquences afin que la transmission WiFi ne soit pas entravée par un goulot d’étranglement. En effet, l’objectif de la décennie numérique vise le « gigabit pour tous », dans un contexte où le metaverse et la réalité virtuelle, à haut débit et faible latence, pourraient accroître fortement la consommation locale de bande passante.
Côté mobile
Pour la communauté mobile, il s’agit de pouvoir répondre à l’accroissement continuel du trafic sur les réseaux mobiles. Malgré un ralentissement du rythme d’augmentation du trafic constaté ces dernières années, le trafic pourrait plus que doubler en Europe occidentale entre 2024 et 2029 selon la dernière édition de l’Ericsson Mobility Report.
La bande 6 GHz fait partie de ce que l’on appelle les « bandes intermédiaires » (mid-bands) qui permettent d’offrir des débits importants ainsi qu’une bonne couverture. Les bandes millimétriques (26 GHz) ne sont pas encore autorisées en France au-delà de quelques expérimentations et seront plutôt dédiées à des couvertures de type hot spot pour les zones à forte densité d’utilisateurs. En l’absence de nouvelles fréquences, accroître la capacité des réseaux mobiles ne pourrait passer que par l’ajout de stations de base supplémentaires, mais ce maillage resserré se heurte à la difficulté à trouver de nouveaux sites dans les zones denses, ainsi que par son acceptabilité sociétale, environnementale et économique. Or l’arrivée de la 6G apportera au grand public une amélioration des performances et du débit de connexion mobile à l’horizon 2030. Et, par le passé, la mise à disposition de chaque nouvelle technologie mobile (3G, 4G et 5G) s’est toujours accompagnée de l’ouverture d’une nouvelle bande : elle permet en effet à un opérateur de ne pas réduire sa capacité pour offrir dans les bandes existantes ces nouveaux services qu’attendent les clients, au départ peu nombreux, de la nouvelle technologie. Dans ce contexte, la bande 6 GHz haute apparaît ainsi comme la seule nouvelle bande intermédiaire compatible avec l’arrivée prochaine de la 6G.
Concernant la politique du spectre, le RSPG (groupe européen pour la politique du spectre regroupant les États membres) s’est mis en ordre de bataille en adoptant en février un programme de travail prévoyant un avis sur la bande 6 GHz haute en juin 2025. Il sera précédé d’un rapport sur les besoins en capacité et couverture de la 6G en février 2025.
Côté européen : études et divergences
Par ailleurs, la Commission devrait confier avant la fin de l’année un mandat à la CEPT pour qu’elle étudie les possibilités de partage de cette bande entre le Wifi et les réseaux mobiles et propose un calendrier d’harmonisation européenne en conséquence.
La CEPT avait anticipé ce mandat et étudie depuis l’année dernière l’hypothèse d’un usage du WiFi à faible puissance et limité à l’intérieur, en présence de réseaux mobiles dans la même bande, à forte puissance et en extérieur.
Ces travaux ont suscité un nombre impressionnant de propositions et d’études. Elles sont en phase d’analyse et de consolidation afin d’évaluer pour chacune d'entre elles l’impact technique pour chaque service. Le calendrier initial de ces travaux est ainsi retardé de quelques mois, mais il est déjà possible d’en tirer les premiers enseignements.
Un consensus s’est formé sur le fait que le partage entre ces deux applications aux mêmes fréquences nécessiterait des restrictions sur les conditions d’utilisation des stations de base 5G ou 6G, et notamment une forte réduction de puissance.
Il y a en revanche divergence sur les conséquences de ces restrictions. Pour certains, l’impact essentiel serait d’empêcher la couverture mobile à l’intérieur des bâtiments, qui pourrait être ainsi dévolue à d’autres moyens (WiFi) ou à d’autres bandes, par exemple à la 5G dans la bande 3,5 GHz. Pour d’autres, l’usage des terminaux mobiles à l’intérieur des bâtiments, qui représente d’ores et déjà une part importante du trafic, continuera à croître et devrait être accompagnée directement par les réseaux mobiles. En outre, les restrictions diminueraient substantiellement la capacité des stations de base pour la communication avec des terminaux en extérieur comme en intérieur.
Il y a aussi convergence sur la nécessité, en cas de partage, d’améliorer le seuil de détection des émissions des stations de base par les équipements WiFi : au-delà de cette limite, les fréquences du WiFi devront changer afin de limiter le risque de brouillage sur les réseaux mobiles. Deux solutions techniques sont en discussion :
- l’obligation pour les équipements WiFi de détecter les signaux de signalisation des stations de base (SSB) ;
- ou la transmission par les stations de base de signaux supplémentaires de signalisation IEEE que les équipements WiFi sont déjà en mesure de détecter.
Ces deux orientations soulèvent des questions de faisabilité, de compatibilité à long terme avec l’évolution des technologies Wifi et mobiles et de coût, qui sont en cours d’analyse.
Enfin, de nombreuses discussions portent sur la quantification des besoins en spectre pour ces deux applications. Pour les IMT, il s’agit de mieux évaluer le besoin de bande intermédiaire pour introduire la 6G à l’horizon 2030 et un débat s’est ouvert sur la manière d’assurer la couverture de terminaux situés à l’intérieur des bâtiments.
Pour les RLAN, plusieurs études montrent que la capacité réellement disponible dépend d’une part des brouillages entre points d’accès et d’autre part de la présence de terminaux en limite de portée. Ainsi, pour des usages très denses, une meilleure planification des canaux paraît essentielle pour assurer une efficacité spectrale satisfaisante. Par ailleurs, l’utilisation de largeurs de bande élevées comme 320 MHz (et même dès 160 MHz), pourrait s’avérer contre-productive compte tenu du nombre limité de canaux. De ce fait, lorsqu’une capacité de 1 Gbit/s sera nécessaire dans chaque pièce d’un bâtiment, les études suggèrent qu’il sera nécessaire de multiplier le nombre de points d’accès (un par pièce par exemple) pour assurer un service efficace.
Au final, l’utilité de la bande 6 GHz haute pour le WiFi se poserait donc avant tout pour des cas de déploiement et d’utilisation intense, par exemple l’utilisation massive de casques de réalité virtuelle dans les écoles ou universités souvent citée dans les contributions. En revanche, selon la communauté WiFi, le taux moyen d’utilisation pour un point d’accès type box internet en environnement résidentiel resterait limité à 4-5 Mbit/s, donc très en-deçà du Gbit/s régulièrement évoqué.
Les prochains mois seront critiques pour progresser au niveau européen sur une compréhension commune des possibilités concrètes de partage et des besoins réalistes des deux applications. Elle permettra d’en déduire l’orientation que devra prendre l’harmonisation européenne dans cette bande 6 GHz haute, avec l’aide et les contributions des deux communautés.