La CMR, à quoi ça sert ? L’ANFR décode la CMR-23 - Points 1.2 et 1.3 : de nouvelles bandes de fréquences pour la 5G... ou la 6G ?
Après avoir, dans la dernière lettre d’information, expliqué l’objectif de protéger, lors des négociations de la CMR-23, les communications mobiles aéronautiques et maritimes dans la bande 4,8-4,99 GHz vis-à-vis de la 5G (point 1.1), nous allons aborder cette fois-ci les deux points suivants de l’ordre du jour de la CMR-23 : ils visent au contraire à apporter de nouvelles ressources pour la 5G (point 1.2) et à sécuriser au niveau international l’utilisation de la bande 3,6-3,8 GHz pour cette nouvelle technologie en Région 1 (Europe, Moyen-Orient, Afrique, ex-URSS) (point 1.3).
Le Règlement des Radiocommunications organise les droits entre services de radiocommunications. Il est aussi le catalyseur d’une harmonisation globale, enjeu majeur pour l’industrie mobile (équipementiers et opérateurs), en identifiant des bandes pour des usages IMT, acronyme recouvrant les technologies mobiles. Deux bandes de fréquences sont à l’étude en Région 1 pour ces usages : 3,3-3,4 GHz et 6 425-7 125 MHz.
3.3-3.4 GHz : une bande indispensable aux usages radars
La bande 3,3-3,4 GHz est, depuis la CMR-15, attribuée au mobile et identifiée IMT pour certains pays africains sub-sahariens mais avec des conditions réglementaires rendant cette utilisation secondaire vis-à-vis des radars, utilisateurs historiques de la bande, y compris pour des usages maritimes et aéronautiques de forces armées. Les études réalisées pendant le dernier cycle d’études (2015-2019) ont confirmé les difficultés de coexistence entre ces deux services avec des brouillages sur plusieurs centaines de kilomètres. Ces usages de radars étant pérennes et internationaux, une extension géographique de cette attribution et de cette identification et un relâchement des conditions pourraient donc affecter leurs capacités opérationnelles.
6 425-7 125 MHz : une réponse aux besoins croissants dans les bandes « intermédiaires » ?
Les opérateurs et équipementiers mobiles se tournent donc vers une autre bande « intermédiaire », la bande 6 425-7 125 MHz, dite « 6 GHz haute » qui offre 700 MHz de spectre, soit plus du double des ressources autorisée aujourd’hui en France dans la bande 3,5 GHz (310 MHz). La partie haute (7 025-7 125 MHz) présente en outre l’avantage d’être aussi étudiée pour une identification IMT dans les deux autres Régions de l’UIT. La mise à l’ordre du jour de la CMR-23 de cette bande est le résultat de l’action concertée des pays africains lors de la CMR-19, motivés par le fait que la bande 3,6-3,8 GHz n’est pas disponible pour la 5G dans de nombreux pays du continent, compte tenu de son utilisation intensive par des stations terriennes en réception y compris pour des usages critiques comme l’aviation civile. Cependant, il existe déjà de nombreux services attribués dans cette bande, comme le montre la figure 1, et de nombreux usages.
Figure 1 : Les attributions existantes dans la bande 6425-7125 MHz
En France, mais également dans de très nombreux pays européens, des faisceaux hertziens sont largement déployés dans cette bande pour des liaisons longue distance et à forte capacité, répondant à des besoins des opérateurs mobiles, ainsi que pour certaines liaisons de très faible capacité en cours de migration de la bande 1,5 GHz. Ces faisceaux hertziens devront demeurer dans la bande pendant plusieurs années. Cependant la généralisation de la fibre pourrait réduire les besoins pour des liaisons radio de forte capacité et permettre de libérer, à terme, tout ou partie de la bande. Une possibilité existe donc pour que la libération de la bande par les faisceaux hertziens coïncide avec de nouveaux besoins pour le lancement de la 6G à l’horizon 2030 ?
Par ailleurs, des liaisons de connexion du service mobile par satellite utilisent la bande dans le sens descendant. Cela reste limité à un faible nombre de stations (un site actuellement en France, pour l’opérateur Globalstar) mais ce service devra bénéficier d’une protection. Des satellites scientifiques mesurent également dans cette bande la température de surface des océans et pourraient être brouillés au large des côtes. Ils ne bénéficient pas d’une véritable attribution dans le Règlement des Radiocommunications, seulement d’une reconnaissance de l’usage, leur protection règlementaire lors de la CMR-23 représente donc un défi.
Mais c’est l’attribution de la bande pour le service fixe par satellite (montant) qui concentrera l’essentiel des débats. Bien que cette bande soit moins utilisée que la bande C « historique » 5 925-6 425 MHz, la protection de ces satellites reste une obligation internationale et ne peut résulter d’un simple choix national. Le brouillage est le résultat du cumul des signaux de toutes les stations de base de la zone de couverture du satellite, parfois continentale. Les études de l’UIT-R visent à modéliser le plus précisément possible le niveau cumulé, en prenant en compte la nature statistique de nombreux paramètres (propagation, pointage des stations de base, trafic …), mais les résultats divergent encore selon les sources. Il s’agira de comprendre l’impact possible sur des cas d’usage réels en évitant les approches « pire cas ».
Et derrière ces études de compatibilité entre IMT et les services utilisant la bande, se profile un deuxième sujet. En effet, cette bande a aussi été autorisée dans de nombreux pays (Amériques, Corée, mais aussi Arabie Saoudite) pour le RLAN (WiFi), en complément de la bande 5 925-6 425 MHz. La communauté WiFi justifie ce besoin par l’arrivée du WiFi 7 et de canaux dont la largeur atteindra 320 MHz. Il se développe donc une concurrence entre la communauté IMT et la communauté RLAN pour obtenir l’accès à la bande 6 425-7 125 MHz. Mais ce sujet ne devrait pas être abordé lors de la CMR-23.
10-10,5 GHz : 500 MHz à protéger
Une bande à l’étude en Région 2, la bande 10-10,5 GHz, fait aussi l’objet d’une attention particulière côté français. En effet, cette bande est utilisée mondialement pour de l’observation de la Terre par satellite avec des radars à synthèse d’ouverture (RSO/SAR) et nos satellites bénéficient d’un droit international à la protection, y compris en Région 2. Par ailleurs, la bande est aussi utilisée par des radars maritimes et aéronautiques, y compris dans le voisinage de nos territoires ultramarins de la Région 2. La France est donc bien légitime à s’intéresser à la protection de ces deux services.
3,6-3,8 GHz : conforter les droits pour la 5G – protéger les usages satellites
Enfin, le point 1.3 de l’ordre du jour de la CMR-23 ne fait pas référence à une identification IMT mais seulement à l’attribution de la bande 3,6-3,8 GHz au service mobile à titre primaire en Région 1, à l’instar des deux autres Régions. Alors que les CMR-07 et CMR-15 avaient déjà attribué au service mobile à titre primaire et identifié pour l’IMT la partie basse 3.4-3.6 GHz, un tel statut dans la bande 3,6-3,8 GHz permettrait de faciliter les déploiements de l’IMT dans les zones frontalières de l’UE, où le statut secondaire du service mobile peut être un handicap pour négocier des droits vis-à-vis de pays ayant d’autres usages. L’absence d’identification IMT oriente de facto l’utilisation de la bande dans de nombreux pays de la Région pour la réception du service fixe par satellite. Ainsi, le passage à un statut primaire du service mobile devra s’accompagner de conditions assurant la coexistence avec ce service, en s’inspirant de ce qui avait été réalisé dans la bande 3,4-3,6 GHz lors de la CMR-07.