Chaud devant : livraison spéciale supplément brouillage !

Enquêtes de l’ANFR 13 novembre 2024

3G perturbée près de la Méditerranée

En novembre dernier, l’ANFR reçoit une demande d'instruction de brouillage transmise par un opérateur de téléphonie mobile. Une forte perturbation d’une antenne relais située sur la commune de Vendargues, près de Montpellier, était constatée, affectant les services de téléphonie et d’internet mobile 3G en bande 900 MHz, et plus précisément entre 899,9 et 904,9MHz. Naturellement, le Service interrégional Méditerranée s’empare de l’affaire !

Avant toute intervention, une analyse sur dossier s’impose… Une requête dans la base de données indique justement qu’un autre opérateur s’est également plaint d’un brouillage sur cette même commune ! Cette fois le brouillage affecte deux bandes mobiles, celles de 800 MHz et 900 MHz, donc à la fois ses services en 3G et en 4G. Les agents du contrôle du spectre, qui ne croient pas aux coïncidences, gardent précieusement cette information en tête…

 

Deux brouillages pour le prix d’un ?

L’équipe technique de l’ANFR organise donc rapidement un déplacement sur place : aujourd’hui leur terrain de chasse sera une zone industrielle. A leur arrivée, ils dressent un premier constat : les antennes relais perturbées sont assez proches l’une de l’autre. Puis, à bord de leur véhicule laboratoire, les agents captent et analysent le signal perturbateur. Les caractéristiques du brouillage confirment ce qu’ils anticipaient : effectivement, une seule source perturbe les deux opérateurs ! Quant à l’émission, elle est à coup sûr illégale : il s’agit d’un signal large bande, émis dans les bandes de fréquences réservées aux opérateurs de téléphonie mobile, et ainsi perçu à la fois dans les bandes 800 et 900 MHz.

Grâce à ces informations, les agents règlent leur récepteur et leur antenne directive puis quittent leur camion pour rechercher la source à pied… Très vite, ils arrivent sur le lieu de stockage d’une société de vente en ligne d’équipements sportifs presque équidistante des deux antennes relais. Sur le parking, des piles de caissons retiennent l’attention des enquêteurs : une centaine de palettes plastiques sont entreposées en plein air.

Les colis perturbateurs

Les contrôleurs du spectre s’approchent de ces palettes pour effectuer des mesures. Le verdict est sans appel : ce sont elles les responsables ! Ces palettes sont visiblement fournies et utilisées par le transporteur qui achemine les colis de l’entreprise d’e-commerce vers ses clients.

S’en suit une inspection minutieuse pour trouver l’équipement coupable sur ces grosses boîtes en plastique. Mais tout près de ces objets, l’antenne directive n’est hélas plus assez sélective. Abandonnés par l’électronique, nos super-héros sont redevenus humains : ils n’ont plus que leurs yeux, leur expérience et leur esprit de déduction pour poursuivre leur enquête ! En examinant l’un des conteneurs sous toutes les coutures, ils finissent par discerner ce qui pourrait être une étiquette RFID collée sous une plaque de plastique.

De nouvelles mesures sont réalisées en isolant l’objet : elles confirment qu’il s’agit bien là de la source perturbatrice. Un peu plus tard, un responsable de l’entreprise d’e-commerce précise la date de mise en service de ces palettes high-tech : elle correspond effectivement avec le début de la dégradation des réseaux des opérateurs de téléphonie mobile. Cette information confirme que l’origine du brouillage est désormais circonscrite.

Comment ces étiquettes ont-elles pu brouiller des antennes relais ?

Les étiquettes RFID sont passives la plupart du temps. En effet, dénuées de pile, ces petits appareils tirent leur énergie des ondes électromagnétiques qui leur sont envoyées au moment de leur interrogation. Pour les utiliser, un appareil spécial (souvent un portique à la sortie des commerces) émet localement une fréquence permanente, qui transmet suffisamment d’énergie à l’étiquette pour activer son électronique. Sur une autre fréquence, le portique envoie une question, à laquelle l’étiquette peut alors répondre en envoyant son identifiant numérique. C’est ainsi que le portique identifie l’objet qui passe dans son voisinage, et peut déclencher une action appropriée (par exemple sonner et alerter un vigile, si cet objet n’aurait pas dû franchir le portique – mais des actions plus élaborées sont possibles en logistique, notamment pour indiquer le statut d’un colis).

Toutefois, le système RFID utilise des fréquences différentes selon les régions du monde : entre 865 et 868 MHz en Europe et autour de 915  MHz aux États-Unis. A noter qu'en France, la bande 915-919,4 MHz a aussi été ouverte depuis 2021 au RFID avec des contraintes complémentaires, plus strictes, afin d'éviter de perturber les autres usagers de la bande de fréquences.

Comme leur coût doit rester sous contrôle car ce sont des dispositifs très utilisés, les étiquettes RFID sont depuis peu construites avec une large bande passante entre 860 et 960 MHz, qui permet une utilisation dans toutes les régions. C’est ce qu’on appelle des « étiquettes globales ». 

Dans le cas présent, ces étiquettes, situées à quelques dizaines de mètres de deux antennes relais, recevaient assez de champ électromagnétique pour que leur électronique soit activée en permanence ! Elles attendaient donc l’interrogation du portique, mais, faute d’un paramétrage adapté, dans une bande de fréquence qui n’était pas celle utilisée en France : elles écoutaient une fréquence située dans l’un des blocs des opérateurs mobiles ! Or, le fonctionnement des antennes relais créait un trafic soutenu sur cette fréquence. Bien sûr, il est probable qu’aucune des deux antennes relais n’aient envoyé des séquences de chiffres qui aient correspondu à une interrogation valide par le portique. Mais, probablement déformés par un produit d’intermodulation passive (PIM) interne aux étiquettes, ces stimuli répétés ont sans doute suffi à déclencher au fil des heures de nombreuses réponses de ces petits dispositifs. Ce babillage continu des étiquettes RFID était suffisant pour être capté par les antennes relais : ces signaux inattendus et répétés, qui n’avaient rien de commun avec ceux d’un téléphone portable, ont fortement perturbé les services des opérateurs de téléphonie mobile.

Les étiquettes RFID au cachot

L’ANFR a enjoint à l’utilisateur de ces tags RFID, en l’occurrence le transporteur spécialisé dans la livraison de colis, de faire cesser la perturbation et l’utilisation illicite de fréquences, qui sont toutes les deux des délits. Le stockage des palettes défaillantes a, dans l’immédiat, été déplacé dans un bâtiment métallique suffisamment opaque aux ondes, créant un phénomène de cage de Faraday afin que les étiquettes RFID ne reçoivent plus assez d’énergie pour émettre de manière anarchique !

 

En savoir plus

Autre enquête impliquant une étiquette RFID

Les radio frequency identification (RFID) ou dispositifs d’identification par radiofréquence en français sont des systèmes de radiocommunication utilisés pour récupérer à distance des données contenues dans des étiquettes (ou « RFID tag ») fixées à des objets. Les interrogateurs activent les étiquettes et reçoivent des données en retour.

Les radio-étiquettes comprennent une antenne qui leur permet de recevoir de l’énergie activant une puce électronique ainsi que des messages ; en retour, la puce utilise la même antenne pour répondre aux requêtes radio émises depuis l’interrogateur.

Les radio-étiquettes sont par exemples utilisés :

  • Sur des objets : livres dans les bibliothèques, antivols, traçabilité d’aliments dans la chaîne du froid, contrôle de forfait de remontée mécanique dans les stations de ski, télépéage, abonnement de transports en commun, identification de mobilier urbain, rechargement de véhicules électriques…
  • Pour des transactions financières : systèmes de paiement sans contact.
  • Pour le marquage d'êtres vivants : identification de plantes (arbres de la ville de Paris), animaux d'élevage (suivi d'un cheptel : nourriture, lactation, poids), animaux de compagne (puce implantée dans le cou), animaux sauvages (cigognes, manchots).
  • Pour les épreuves sportives : dossards du Marathon de Paris, du Tour de France…           

 

Quelles sont les règles à respecter pour les émissions des dispositifs RFID (interrogateur et étiquettes) ?

L’utilisation des applications RFID est notamment possible dans 4 canaux de 200 kHz de la bande 865-868 MHz, bande de fréquences harmonisée au niveau européen. Cette utilisation doit néanmoins suivre un certain nombre de conditions techniques précisées dans la décision de l’ARCEP n° 2021-1589 en date du 29 juillet 2021, et notamment la puissance apparente rayonnée de moins de 2 W.

Une décision européenne, applicable en France, permet de déployer des RFID dans 3 canaux de 400 kHz de la bande 915-919,4 MHz, à condition qu’ils ne causent pas de brouillage préjudiciable aux stations d'un service de radiocommunication bénéficiant d’une attribution à titre primaire ou secondaire dans le tableau national de répartition des bandes de fréquences (TNRBF). A cet effet, des conditions techniques particulières s’appliquent : elles sont rappelées dans l’annexe 7 du TNRBF, dans la décision Arcep n° 2021-1589, dans l’arrêté du 21 octobre 2021 homologuant la décision n° 2021-1589 et sur le site de l’ANFR dans la rubrique « gestion des fréquences ».

  • La puissance apparente rayonnée maximale pour les interrogateurs RFID dans ces fréquences est limitée à 4 W.
  • Par ailleurs, une déclaration doit être transmise à l’ANFR pour l’utilisation de telles fréquences pour des systèmes RFID. Par dérogation à l’article 4 de l’Arrêté du 17 décembre 2007 modifié pris en application de l’article R. 20-44-11 du code des postes et des communications électroniques et relatif aux conditions d’implantation de certaines installations et stations radioélectriques, les RFID utilisant un ou plusieurs canaux dans la bande de fréquences 915-919,4 MHz dont la puissance apparente rayonnée (PAR) est supérieure à 1 W, sont déclarés par l’exploitant à l’ANFR avant installation. Les exploitants doivent indiquer les coordonnées géographiques du site, les fréquences utilisées et puissance apparente rayonnée maximum (PAR). Le formulaire correspondant est disponible sur le site de l’ANFR.

Dans tous les cas, le détenteur d’un équipement RFID, interrogateur ou étiquette, même une étiquette passive, est garant de l’utilisation conforme des fréquences et est responsable si son équipement est à l’origine d’un brouillage !

L’utilisateur d’une fréquence sans autorisation qui de plus est responsable d’un brouillage est responsable de deux délits au titre de l’article L. 39-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE). Pour chacun de ces délits, il encourt une sanction pénale qui peut aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.