Brouilleurs GPS : attrapez-les tous !

Enquêtes de l’ANFR 31 janvier 2025

Un homme averti en vaut deux

Mieux vaut prévenir que guérir, telle est la devise des services régionaux de l’ANFR ! Les plaintes pour brouillage de la géolocalisation (GPS, Galileo, Glonass ou Beidu) sont aujourd’hui devenues fréquentes et nos agents ont aussi eu à résoudre plusieurs cas préoccupants, perturbant les services de l’aviation civile. C’est la raison pour laquelle nos agents ont pris l’habitude, lors de leurs déplacements en véhicule laboratoire, de surveiller les fréquences dédiées à la radionavigation par satellite (GNSS).

C’est ainsi qu’un matin de juin, sur la route de Nice, un agent du service régional Méditerranée soupire en entrant dans une file au péage d’Antibes et jette machinalement un œil sur son analyseur réglé sur le GNSS. Les bouchons ont parfois du bon, ils permettent d’examiner plus attentivement les relevés spectraux : car il n’a pas la berlue, voici la signature caractéristique d’un brouilleur du signal GPS centré sur 1 575,42 MHz !

Qui va à la chasse trouve ce qui le tracasse

Aussitôt, notre contrôleur relève les yeux et embrasse du regard toutes ces voitures qui l’entourent. Ce brouilleur doit être tout près, puisque le signal est assez fort. Et, à ce péage distant des habitations, où peut-il être, sinon dans l’une de ces voitures qui avancent, au pas, dans ces files ? En un instant, l’instinct du chasseur prend le dessus : dans quelques minutes, cette voiture passera la barrière, elle reprendra de la vitesse… et la proie s’échappera à jamais, il est si difficile de détecter les brouilleurs GPS en mouvement ! Mais comment trouver ce petit appareil parmi toutes ces voitures anonymes ?

Avec ces appareils de faible portée, en l’absence d’obstacles ou d’étages, la meilleure solution, c’est encore de jouer sur les variations de puissance. Le signal se renforce ? C’est que la distance entre nos deux véhicules vient de se réduire ! Le signal s’atténue ? C’est que le contrevenant s’éloigne. Devant lui, plusieurs files d’attente avancent à des vitesses différentes : des voitures roulent de quelques mètres, s’arrêtent... Et, magie des ondes, le signal réagit instantanément. Alors, peut-être ?... Mais oui : voilà le signal qui baisse, et cette file qui avance ?… Les files, l’écran, les files… Bientôt celle qui contient le brouilleur est identifiée ! Il ne reste plus alors, au prix de quelques coups de klaxon et d’injures méditerranéennes bien senties proférées à travers les fenêtres ouvertes, de se rapprocher de la file suspecte, puis de la remonter… Et le signal de se renforcer progressivement ! Après ce slalom périlleux (« ah, si les véhicules de l’Agence avaient un gyrophare… »), l’enquêteur ANFR identifie enfin le véhicule suspect. Trop tard : celui-ci passe bientôt la barrière et se met à accélérer !

Qu’à cela ne tienne : klaxons pour klaxons, notre enquêteur se résout à passer à son tour la barrière. Fort heureusement, notre suspect conduit prudemment : les camions de l’ANFR ne sont pas taillés pour les courses-poursuites des séries américaines ! Le contact visuel est conservé avec la voiture. Et c’est à Nice, très civilement, que cette filature se termine. L’agent obtient que la voiture se gare et va à la rencontre d’un conducteur perplexe pour lui expliquer sa mission de gardien du spectre, mais également lui exposer qu’un brouilleur GPS se trouve sans doute dans sa voiture. Soulagement : l’individu coopère immédiatement. Et montre aussitôt le brouilleur GPS, branché sur l’allume-cigare.

Ce petit objet peut neutraliser un GPS sur plus de 500 mètres autour du véhicule, mais aussi à plus de 2 000 m d’altitude : un réel danger pour les avions transitant par l’aéroport de Nice ! Certes, il faisait beau ce jour-là ; mais un jour de brouillard, perdre les signaux GNSS qui transmettent des informations essentielles de géolocalisation et de synchronisation peut entraîner des conséquences graves. Tout cela est pédagogiquement expliqué au détenteur du brouilleur ; qui, très vite, entreprend de se justifier.

Créatures virtuelles, réelles répercussions  

Son histoire commence, hélas, classiquement : cet homme avait acheté le brouilleur quelques années auparavant dans un magasin, fermé depuis. Les vendeurs de brouilleurs connaissent effectivement les risques attachés à leur commerce. Mais le récit se poursuit de manière plus inattendue : s’il avait fait l’acquisition de cet appareil interdit d’usage, ce n’était pas pour échapper à son employeur ; ni à un règlement de compte ; ni même pour continuer à conduire une voiture volée. Non, rien de tout cela ! C’était pour simplement pour mettre fin aux les intrusions dans… son jardin. En effet, il était las de constater que des indésirables se faufilaient sans arrêt, nuit et jour, sur sa propriété privée, armés de leur smartphone, pour en ressortir peu après, l’air inexplicablement satisfait. C’est qu’il était en réalité envahi par… des chasseurs de Pokémon ! Mais oui, souvenez-vous ! En 2016, Pokémon GO débarque en France avec un jeu très addictif : grâce à la géolocalisation du smartphone, l’application fait apparaître, en réalité augmentée, des Pokémon colorés à proximité du joueur. Celui-ci doit alors se déplacer avec son téléphone pour capturer (virtuellement) ces créatures et gagner des points. Les sources de Pokemon avaient été placées en de multiples lieux du monde entier par l’éditeur. Et le jardin de ce monsieur était ainsi devenu, à son insu et du jour au lendemain, un repaire de Pikachu ou Kangoureux.

A l’époque, Pokémon GO était un réel phénomène, la « killer application » de la 4G : les joueurs, nombreux et complètement mordus, s’étaient mis à parcourir villes, campagnes et même océans pour chasser les personnages de Satoshi Tajiri. Ces traques obstinées avaient d’ailleurs mené à des situations ubuesques voire dangereuses : deux joueurs s’étaient introduits dans la cage d’un tigre dans l’Ohio – et les chasseurs étaient aussitôt devenus proies ; dans le Gard un homme avait quitté son travail pour devenir dresseur ; des joueurs s’étaient aventurés dans un endroit difficile d’accès, où l’on avait retrouvé un cadavre ; un jeune homme avait même effectué une capture durant l’enterrement de sa grand-mère… Autant de situations improbables dues à un logiciel qui avait distribué ses sources de Pokémon dans le monde entier. Mais il n’est pas toujours simple, au Pays du Soleil Levant, d’évaluer la pertinence des endroits choisis sur les rivages de la Méditerranée…

Excédé par cette folie ambiante, notre conducteur avait donc décidé d’investir dans un brouilleur GPS afin que les braconniers perdent, à l’approche de sa maison, la piste du Dracofeu qui manquait à leur tableau de chasse, les contraignant à rebrousser chemin sans tenter de franchir sa clôture.

Astucieux, mais illégal ! Toutefois, sa situation s’était ensuite aggravée : après avoir constaté que les chasseurs de Pokémon se raréfiaient, il avait décidé, en quelque sorte pour rentabiliser son investissement, de laisser le brouilleur sur l’allume-cigare de sa voiture « au cas où », transportant ainsi une bulle de brouillage de signal GPS tout autour de lui à chacun de ses déplacements. Et se rapprochant dangereusement des aéroports…

Le contrôleur du spectre l’ANFR a sollicité le soutien d’un officier de police judiciaire pour immédiatement saisir le brouilleur, ce qui a été fait dans la foulée. Le conducteur a été entendu au commissariat. Car la possession, tout comme l’utilisation, d’un brouilleur étant interdites, ces délits soumis chacun à une peine pouvant atteindre 6 mois d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

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