Brouille en zone portuaire
Conscient des enjeux, le responsable de l’antenne de l’ANFR informe le Procureur de la République de Martinique de son intervention. L’enquête commence… Selon les observations de l’opérateur, le brouillage n’est pas permanent et reste centré autour du terminal de croisière. Autre indice : les horaires du brouillage pourraient correspondre à des mouvements de navires. Le registre de la capitainerie permet de préciser tout cela : effectivement, dès que l’un des navires prend la mer, le réseau 3G semble revenir à la normale, puis la perturbation est de nouveau constatée à son retour. Justement, la prochaine escale est prévue le 24 mars : et s’il suffisait d’attendre le retour du bateau ?
Quelques jours plus tard, le navire est annoncé. Notre agent est déjà sur place, prêt à enclencher une procédure particulière, le port state control (PSC) : elle permet de contrôler dans un port français les équipements radioélectriques d’un navire battant pavillon étranger. C’est donc accompagné d’un représentant du Centre de sécurité des navires (CSN) de Fort de France que notre enquêteur monte à bord. Il met aussitôt son analyseur de spectre sous tension, après l’avoir équipé d’une antenne directive... Bingo ! L’intuition était bonne : le signal perturbateur se dessine avec netteté sur l’écran, il provient donc à l’évidence de ce navire. La chasse démarre, et elle sera brève : le responsable est rapidement circonscrit : il s’agit d’un réseau interne sans fil de communication de type DECT (digital enhanced cordless telecommunication) servant aux membres de l’équipage pour communiquer entre eux à l’intérieur du bateau.
Ce réseau émet dans la bande 1 920 MHz – 1 930 MHz en suivant le plan de fréquences usuel pour l’Amérique du Nord. Mais voilà : bien qu’incontestablement située dans l’emprise continentale des Amériques, la Martinique est un département français, et utilise donc depuis toujours un plan de fréquences européen, ce qui permet aux nombreux voyageurs de ne pas avoir à changer d’appareil entre les Antilles et l’Hexagone. A la Martinique, cette bande est ainsi attribuée à un réseau mobile ouvert au public, celui d’Orange Caraïbe pour le service 3G ! Il est bien sûr possible d’exploiter aussi un service DECT aux Antilles françaises ; mais dans ce cas, c’est la bande européenne 1 880 – 1 900 MHz qui doit être utilisée. Ces informations n’étant pas connues de l’équipage, notre agent a fait preuve de pédagogie en expliquant la situation et en lui demandant de changer de bande de fréquences lorsque le navire entre dans les eaux territoriales françaises.
Un système DECT embarqué peut modifier automatiquement son plan de fréquences à partir des données GPS afin de s’adapter aux fréquences utilisables à l’endroit où il se trouve. Ceci nécessite que les fréquences adaptées aux différentes eaux territoriales traversées soient programmées, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire. Les techniciens à bord ne sont pourtant pas parvenus à reprogrammer leur système DECT. Alors, cette fois-ci, le capitaine a jugé plus sage de couper ce réseau et d’utiliser des talkies walkies.
Pourtant, ce navire n’était pas vraiment un mauvais élève : le contrôle des équipements radio s’est bien déroulé et aucune anomalie n’a été constatée.
Un autre cas similaire avait été constaté plus tôt dans la saison, également causé par un navire de croisière étranger. Ce brouillage, avant d’être résolu, se déplaçait d’une île française à l’autre, le navire étant en escale les samedis en Martinique et les dimanches en Guadeloupe. Il avait aussi été nécessaire de lui fixer un rendez-vous pour le ramener dans la légalité…
L’ANFR reste vigilante pour éviter ces brouillages. En avril dernier, un courrier a été envoyé aux principaux concernés afin de les sensibiliser de nouveau en leur rappelant la réglementation relative aux fréquences radio dans les eaux territoriales françaises.
En cas de brouillage commis par des équipements à bord d’un navire de pavillon étranger en mer territoriale, il est possible pour l’ANFR d’intervenir en collaboration avec la Préfecture Maritime afin de constater techniquement l’infraction. Le Préfet maritime peut par exemple « suspendre » le passage d'un navire qui perturbe des services de radiocommunication à terre. Le Procureur de la République peut quant à lui décider de poursuites judiciaires.
En savoir plus sur les droits dans le domaine maritime : souveraineté de l’Etat côtier
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer définit 3 zones maritimes :
- Les eaux intérieures : eaux situées en deçà des lignes de base d’un État côtier.
L’État côtier peut exercer sur tout navire, y compris de pavillon étranger, la quasi-totalité des pouvoirs et des compétences qu’il exerce sur son territoire terrestre.
- La mer territoriale : ceinture d’eau dont la largeur ne dépasse pas 12 miles marins vers le large mesurée à partir des lignes de base d’un État. Elle est semblable aux eaux intérieures en ce qu'elle est soumise à la souveraineté de l'État côtier, mais en diffère par le fait que cette souveraineté est limitée par le droit de transit inoffensif des drapeaux étrangers.
- Les eaux archipélagiques : eaux situées en deçà des lignes de base d’un État archipel, sur lesquelles les États côtiers exercent leur pleine souveraineté.
Ces espaces peuvent être considérés comme une extension du territoire national.