Atelier des Fréquences #5 : usage des drones sur les réseaux mobiles
Ils rassemblent, à chaque fois, une large audience y compris au-delà des participants français avec la participation de représentants des administrations francophones membres de la CAPTEF.
La 5ème édition des Ateliers des Fréquences de l’ANFR s’est déroulée le 2 juin en format hybride. C’était une première, qui a permis de rassembler une quarantaine de personnes en présentiel et, à distance, une vingtaine de personnes connectées. Gilles Brégant, Directeur général de l’ANFR, a ouvert cet atelier sur le thème de « l’usage des drones sur les réseaux mobiles », un sujet actuellement débattu dans de multiples enceintes.
L’usage des drones a pris son essor depuis de nombreuses années en exploitant des ressources fréquences dédiées (secteurs de la Défense, de la sécurité nationale, de la protection civile) ou dans les bandes libres pour les drones de loisirs. La demande et les applications se multiplient aujourd’hui, notamment pour des usages sectoriels à grande élongation (surveillance d’infrastructures, par exemple) s’appuyant sur les réseaux mobiles bénéficiant d’une couverture quasi nationale avec diverses technologies (2G, 3G, 4G et en cours 5G) dans différentes bandes de fréquences. Comme l’ont rappelé plusieurs intervenants, le recours à ces réseaux et technologies présente de nombreux atouts : réseaux mobiles en place, large couverture, économies d’échelle, fréquences harmonisées, itinérance. Si les communications entre drones et réseaux mobiles ne posent pas de difficultés techniques, les composantes réglementaires et normatives restent encore à développer. Cet atelier a donc permis de faire un large tour d’horizon, pour mettre en exergue les questions ouvertes ou à défricher, alors que les conditions d’utilisation des fréquences sont en train d’être précisées à la CEPT.
Aviation civile : vers la mise en place d’espaces aériens dédiés, les U-spaces
Concernant le cadre réglementaire relevant de l’aviation civile, la perspective d’espaces aériens dédiés aux drones, le U-space, se dessine. De nouveaux fournisseurs de services y proposeraient : des services d’information dédiés à l’exploitation de catégories de drones principalement exploités à basse altitude (ex. information de géo-vigilance sur les espaces aériens et leur état, météorologie), partage de la position et de l’identifiant via les réseaux, résolution des éventuels conflits des demandes de vol des drones, etc. L’atelier s’est focalisé sur certains débats en cours comme les fréquences qui pourraient être utilisées à l’avenir pour la transmission/diffusion d’informations sur la position des drones et des autres aéronefs partageant le même espace aérien (U-space). L’hypothèse d’une utilisation des réseaux mobiles pourrait challenger les règles et solutions existantes, éprouvées par l’aviation civile. La règlementation aéronautique se décline en effet au travers de cadres mondiaux et européens transposés au niveau national. Ils portent, par exemple, sur l’utilisation de bandes de fréquences dédiées, d’espaces aériens, d‘aéroports, la catégorisation des drones, les obligations et responsabilités des pilotes et télépilotes. L’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA) s’investit dans le cadre aéronautique lié à l’usage des drones sur réseaux mobiles et a publié récemment une étude sur le sujet . Ces travaux s’inscrivent dans une volonté politique de la Commission européenne et des États membres d’ouvrir des opportunités pour des usages en dehors de l’univers traditionnel de l’aviation civile. La phase expérimentale des U-space à grande échelle devrait permettre aux acteurs concernés de se doter d’une meilleure compréhension des enjeux fréquences associés, y compris les aspects de communications via les réseaux mobiles.
Opérateurs mobiles : appréhender les besoins, évaluer les investissements et les travaux normatifs
Le rapport ECC 309 de la CEPT fait l’hypothèse d’une utilisation des drones sur réseaux mobiles sur la base de la couverture actuelle. Il met en évidence les atouts de la 4G voire de la 5G tenant compte des contraintes de couverture, évalue les conditions que devront maitriser les opérateurs mobiles pour éviter les brouillages au sein de leur réseau et mentionne la nécessaire distinction entre drones et terminaux classiques.
Les opérateurs mobiles sont actuellement dans une phase de compréhension des besoins avec l’identification de premiers cas d’usages qui ont été brièvement exposés lors de l’atelier. Les investissements à consentir pour des fonctionnalités spécifiques et des attentes en matière de couverture posent question compte tenu des volumes de données échangées entre le drone et le réseau, et du brouillage accru au sein du réseau. La normalisation commence à adresser la différentiation, l’identification d’un drone par rapport à un smartphone ou un terminal classique opérant sur le même réseau, pouvant ainsi aboutir à des offres distinctes justifiant les investissements. La perspective de cartes SIM spécifiques se profile. Les mécanismes permettant de gérer dynamiquement les drones, de respecter les zones de ‘non transmission’, le cas échéant en 3 dimensions alors que les réseaux mobiles ne gèrent que 2 dimensions actuellement, ou d’éviter les brouillages au sein du réseau de l’opérateur, sont encore en débat. Diverses options ont été présentées à l’occasion de l’atelier.
Arcep : autorisations expérimentales et réflexions sur le futur cadre
En s’appuyant sur les conditions établies avec l’ANFR et les affectataires à partir des conclusions du rapport ECC 309, l’ARCEP a délivré des premières autorisations expérimentales et est en cours de réflexion pour établir un cadre d’autorisation à plus long terme. Après avoir rappelé le cadre actuel d’autorisation, le régulateur a exposé les pistes de réflexion à l’étude pour établir un cadre d’autorisation à plus long terme. Des éclairages ont été également apportées sur les démarches à suivre pour mener une expérimentation.
Enjeux et attentes des futurs usages à grande élongation
Des perspectives d’usages au-delà du domaine traditionnel des drones (défense, police aéronautique) ont été également dressées. Les conditions techniques étudiées par la CEPT couvrent en effet des configurations où les équipements radio mobiles sont par exemple installés dans un hélicoptère. La récente expérimentation menée par Airbus sur une telle configuration, exposée lors de cet atelier, comme les réflexions sur les drones embarquant des passagers ou du fret, éclairent les enjeux de l’utilisation des réseaux mobiles pour ces futurs usages. Des intervenants, sur la base de retour d’expériences, ont également exprimé des attentes vis-à-vis des drones à longue élongation et ont souligné les gains apportés par de telles solutions par rapport aux usages actuels, par exemple pour la surveillance des infrastructures. Ces projets sont en attente de visibilité technique et réglementaire pour le lancement d’investissements.
Harmonisation européenne des fréquences
L’ANFR a exposé, lors de cet atelier, les travaux européens menés en complément de la normalisation des technologies mobiles (3GPP). Cette dernière adresse les questions de coexistence entre réseaux mobiles et met en évidence certaines limites pour l’utilisation de drones au sein d’un réseau mobile compte tenu des brouillages au sein d’un même réseau. Charge à l’opérateur de définir sa propre stratégie en fonction des besoins à adresser. Au-delà de ce premier travail normatif, il reste à définir les conditions de coexistence avec les services adjacents aux bandes mobiles, par exemple, la TNT sous 700 MHz, les stations terriennes de réception de données Météo sous 1 710 MHz, les radars aéronautique ou météo au-dessus de 2,7 GHz. La CEPT vient de finaliser une première phase d’études des conditions techniques en complétant son premier rapport (rapport ECC 309 ) et en analysant l’impact des utilisations d’antennes actives (AAS) par les réseaux mobiles pour servir les drones opérant dans les bandes harmonisées mobiles 1 800 MHz, 2,1 GHz et 2,6 GHz (rapport ECC 348). Ces études ont nourri les propositions de conditions techniques harmonisées imposées pour l’utilisation de drones afin de protéger les différents services opérant en bandes adjacentes. Deux options ont été retenues, en fonction des services adjacents à protéger :
1) Imposer des limites harmonisées pour les émissions hors bande spécifiques.
Cette approche, centrée sur l’équipement (drones), permet de limiter les contraintes opérationnelles via un filtrage approprié des émissions. Ces limites relèveront à terme d’une norme harmonisée, à l’image de ce qui est déjà applicable dans certaines bandes pour les terminaux ou les stations de base.
2) Fixer des conditions techniques opérationnelles, principalement les zones de « non transmission » où une bande de fréquences ne peut être utilisée par les drones.
Cette condition opérationnelle devra être précisée au niveau national par le comité de compatibilité électromagnétique de l’ANFR, même si les rapports ECC peuvent donner une première approche pour une phase expérimentale ou dans un contexte moins optimisé d’usage des fréquences. Ces zones ciblent par exemple, la protection du site de radioastronomie de Nançay ou de radars de l’aviation civile, de la défense ou météorologiques. A noter que la protection de la télévision numérique terrestre ( TNT ) impose également des contraintes d’altitude (exploitation de la bande 700 MHz à plus de 30 mètres) pour éviter tout brouillage d’un récepteur TV. Pour le décollage ou l’atterrissage, ou pour un vol en-dessous de 30 mètres, une autre bande devrait donc être exploitée.
L’utilisation des bandes de fréquences 900 MHz et 2 GHz n’imposent, par contre, pas de conditions spécifiques par rapport à un terminal classique.
Les questions et débats posés lors de l’atelier n’ont pas remis en cause ces orientations. L’identification de mécanismes permettant de respecter les zones de « non transmission » apparait cependant comme un chantier majeur, aussi bien normatif que réglementaire, afin de mettre en place des dispositions évitant les brouillages par un cadre de responsabilité clair en cas d’interférences générées par un drone.
La bande de fréquences 3,4-3,8 GHz a été écartée dans cette première phase d’harmonisation pour plusieurs raisons :
- de fortes contraintes sont imposées en limites hors bande pour la protection des radars opérant sous 3,4 GHz ou des stations terriennes au-dessus de 3,8 GHz ;
- les stations terriennes opérant dans la bande 3,4-3,8 GHz imposeraient des zones de « non transmission » de plusieurs dizaines de kilomètres ;
- enfin, les conditions de coexistence avec les radioaltimètres 4,2-4,4 GHz restent à préciser en s’appuyant sur les études de coexistence en cours avec les réseaux mobiles 5G.
Ces travaux ont révélé un nécessaire complément normatif qui reste en grande partie à développer au-delà de la reprise des limites hors bandes à respecter. L’opérateur mobile devra en effet être en mesure de différencier un drone d’un terminal classique, comme cela a été souligné lors de l’atelier, à la fois pour ses propres besoins mais aussi pour faciliter le respect des conditions techniques opérationnelles. Le mécanisme de différenciation ne devra pas être désactivable par les utilisateurs afin d’éviter les brouillages, à l’instar de ce qui est exigé pour le DFS des équipements Wifi 5GHz protégeant des radars. Le respect des zones de « non transmission » suscite déjà des débats sur la solution normative à retenir. Les interactions entre l’ETSI et la CEPT se mettent en place et vont se poursuivre afin de donner au marché les éléments de visibilité pour les investissements à long terme.