Les enquêtes de l’ANFR - Les dents, le brouilleur et au lit !
L’ANFR s’est récemment trouvée saisie d’une plainte insolite par un opérateur de téléphonie mobile. Ce brouillage affectait les services de téléphonie et d’internet dans toutes les bandes de fréquences mobiles sur la commune de Messanges, dans les Landes : jusque-là, hélas rien que de très classique. Mais un détail a intrigué nos enquêteurs : la perturbation ne se produisait jamais avant minuit et cessait le plus souvent vers 3h du matin, tous les jours de la semaine, sans exception !
C’est donc au cœur de la nuit que le Service régional de Toulouse de l’ANFR commença son enquête… Qu’est-ce qui pouvait bien générer une telle perturbation à des heures où toute la ville dort ? Alors que minuit venait de s’afficher sur sa montre, notre agent, au pied du site radio de l’opérateur mobile qui s’était plaint, scrutait l’écran de l’analyseur de spectre de son véhicule-laboratoire.
Soudain, le graphique prit une forme caractéristique. L’interprétation des résultats de mesure ne laissait presqu’aucun doute. C’était la signature d’un brouilleur d’ondes, matériel dont la détention comme l’utilisation sont prohibées en France !
Relevé spectral du brouillage
Sans plus attendre, notre justicier se lança à la recherche du signal brouilleur. Même en plein cœur de la nuit, les ondes invisibles restent bien visibles sur son matériel de pointe : avec son radiogoniomètre sur le toit du véhicule et son récepteur portable pour la recherche à pied, aucun signal ne peut lui résister !
Ses recherches le menèrent devant une maison, dans une commune voisine proche du littoral. A 1h30 du matin, la source du signal était identifiée, et incontestable… Mais l’heure inhabituelle et l’absence d’officier de police judiciaire imposait de suspendre la chasse : impossible de faire connaissance avec les habitants de la demeure avant le lendemain matin.
Après une petite nuit de sommeil, notre agent reprit donc son enquête. L’occupant des lieux reconnut sans complexe qu’il utilisait effectivement un brouilleur acheté sur internet ! L’appareil en cause s’avérait même être un brouilleur multi-bandes, capable de neutraliser tant la téléphonie mobile que le WiFi.
Brouilleur multi-bandes saisi chez le particulier
Restait un mystère à élucider : pourquoi cet appareil ne fonctionnait-il que la nuit, entre minuit et 3h du matin ? L’explication fut d’une simplicité déconcertante : le brouilleur avait été installé par le père de famille pour interdire à ses ados d’accéder à internet avec leur smartphone au lieu de s’endormir ! Ses enfants étaient en effet devenus accros aux réseaux sociaux et autres applications, en particulier depuis le confinement imposé en raison de l’épidémie de Covid-19. Après avoir consulté des forums sur internet, le père avait jugé qu’un brouilleur était la meilleure solution pour mettre fin à ces excès !
Solution radicale, mais surtout illégale et… disproportionnée. Car l’équipement ne brouillait pas que l’intérieur de son logement. Il perturbait fortement toute la téléphonie et l’internet mobile de la zone autour de son habitation, privant non seulement ses enfants mais aussi ses voisins, les habitants de sa commune et de la commune voisine d’une bonne connexion mobile ! En voulant bannir l’internet dans son habitation, il appliquait la même sentence à tout son voisinage.
Le surlendemain, l’opérateur a confirmé avec soulagement qu’une première nuit s’était enfin déroulée sans perturbation de son réseau.
Aujourd’hui, ce père de famille risque des poursuites judiciaires, la possession et l’utilisation illicites d’un brouilleur étant l’une et l’autre soumises à une sanction pénale allant jusqu’à 6 mois d'emprisonnement et 30 000 € d’amende[1]. L’agent de l’ANFR, en plus d’exiger qu’il éteigne le brouilleur et ne l’utilise plus, a rappelé le cadre réglementaire au propriétaire de l’équipement. Celui-ci a également dû s’acquitter d’une taxe d’intervention de 450 euros.
L’ANFR a dressé un PV d’infraction qu’elle a transmis au Procureur de la République de Dax, demandant à cette occasion la remise de l’équipement aux forces de l’ordre ou sa saisie, la possession même d’un brouilleur d’ondes étant interdite.
Par la suite, le Procureur a indiqué à l’Agence avoir saisi la brigade de gendarmerie d'une enquête et demandé que le mis en cause soit convoqué et remette son brouilleur pour confiscation.
Pour en savoir plus
Qu’est-ce qu’un brouilleur d’ondes ?
Un brouilleur est un émetteur radio conçu pour brouiller, perturber ou bloquer les signaux ou services de radiocommunication. En général, il agit en émettant plus fort que les signaux utiles, sur la bande de fréquence visée. Les signaux utiles ne sont alors plus détectés par les récepteurs.
Le rayon d’action des brouilleurs est souvent plus large qu’on le pense ou que ne le laisse supposer le vendeur.
L’utilisateur se trouve d’ailleurs souvent dépassé par la portée de l’équipement qui n’est jamais circonscrite à un petit espace, comme une pièce ou un véhicule !
Par exemple, un brouilleur utilisé dans une salle de classe pour empêcher les élèves d’utiliser leurs portables peut perturber la téléphonie mobile d’un quartier entier ! De même, un brouilleur de GPS utilisé par un employé qui veut cesser d’être géolocalisé par son employeur peut perturber des avions volant à 2 000 m d’altitude ou stationnés à 500 m. L’utilisation d’un brouilleur constitue une perturbation délibérée et offensive du spectre radioélectrique.
Il existe plusieurs types de brouilleurs selon qu’ils peuvent perturber :
- la téléphonie et l’internet mobiles : GSM, UMTS, LTE ;
- d’autres réseaux de transmission sans fil : WiFi, réseaux locaux sans fil RLAN, WiMax ;
- des applications comme la réception des signaux de géolocalisation satellitaires (GPS, Galiléo...), des caméras ou des alarmes sans fil...
Un brouilleur radioélectrique a le plus souvent la forme d’un boîtier électronique muni d’une ou de plusieurs petites antennes, selon le nombre de bandes de fréquences qu’il peut perturber. Dans ce dernier cas, il est qualifié de multi-bandes.
Que dit la loi ?
Elle interdit purement et simplement les brouilleurs radioélectriques : importation, publicité, cession à titre gratuit ou onéreux, mise en circulation, installation, détention et utilisation (article L.33-3-1 du Code des Postes et communications électroniques). Une sanction pénale allant jusqu’à six mois de prison et 30 000 € d’amende est prévue (article L. 39-1 du Code des postes et communications électroniques). Les agents de l’ANFR, habilités et assermentés, peuvent rechercher et constater ces infractions et dresser procès-verbal. Ils peuvent aussi appliquer une taxe forfaitaire de 450 € pour frais d’intervention en vertu de l’article 45 II de la loi de finances pour 1987 modifiée.
------
[1] Article L. 39-1 du CPCE